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Prospérité sans croissance

April, 08 2013

“When my information changes, I alter my conclusions… what do you do, sir?”

John Maynard Keynes

Plus profondément, favoriser une prospérité sans croissance, pour reprendre l’expression de Tim Jackson (voir video ci-dessous), implique un triple changement :

  • de nos modes de production, pour les rendre à la fois plus économes en matières premières et plus inclusifs en travail ;
  • des modalités de répartition du revenu, tant il est vrai qu’une moindre croissance n’est supportable socialement que si elle s’accompagne de moins d’inégalités ;
  • de nos modes de consommation, l’accumulation individuelle de biens devant céder la place à une réhabilitation de leur valeur d’usage.

On entend d’ici les mises en garde des aficionados du salut par la croissance : vous allez affaiblir encore la productivité du travail, décourager l’initiative, déprimer la consommation et finalement compromettre nos chances de retour de la prospérité. Pas si sûr !

Moins de laissés-pour-compte sur le marché du travail, moins de dépenses improductives, ce sont aussi plus de ressources susceptibles d’orienter l’économie vers un nouveau modèle finalement plus efficace et moins toxique . Et, qui sait s’il ne pourrait, au bout du compte, susciter la croissance… du bien-être.

Sortir de l’impasse : élaboration d’une “nouvelle macroéconomie écologique”.

La réflexion de Tim Jackson a pour point de départ une définition de la prospérité comme un état dont nous jouissons « quand les choses vont bien pour nous, en conformité avec nos espoirs et nos attentes. » (p. 19). Mais dans nos sociétés, nos espoirs et nos attentes étant d’abord matériels, l’idée de prospérité renvoie à un imaginaire de l’abondance et du toujours-plus, indissociable de la croissance. Or, estime l’auteur, le dépassement des limites écologiques de la planète nous oblige aujourd’hui à remettre en cause cette conception de la prospérité fondée sur la croissance

Si la croissance est une impasse, comment s’en passer? Pour répondre à cette question, il faut comprendre pourquoi nos économies ont aujourd’hui besoin de croissance pour ne pas devenir socialement instable. Le raisonnement de Tim Jackson est le suivant: le progrès technique augmentant la productivité du travail, si l’on ne veut pas créer de chômage, il faut augmenter les quantités produites et donc susciter de la croissance des flux.

 

Premièrement, en remplaçant massivement l’utilisation des énergies fossiles par du travail humain. Ce sont les fameux “emplois verts” dans le bâtiment, les transports, l’agriculture… Leur modèle économique consiste à remplacer du pétrole importé (rentre pétrolière) par des salaires. La conséquence est une baisse de la productivité apparente du travail, une baisse du chômage et de la croissance.

Deuxièmement, en développant une économie du care, ce que Tim Jackson appelle les “entreprises écologiques”, qui améliore la qualité de vie en produisant des services relationnels locaux. Comme ces services peuvent être très peu intensifs en énergie, ils constituent un deuxième gisement d’emplois écologiques qui permettra de diminuer le chômage sans pour autant créer de croissance, puisqu’ils ont une productivité apparente du travail plus faible que la moyenne de l’économie.

Troisième levier: dans la partie de l’économie soumise à la compétition internationale (ce qui n’est pas le cas des deux premières), les gains de productivité restent nécessaires, mais ils doivent être en priorité affectés à la réduction du temps de travail pour ne pas créer de chômage.

Pour ceux qui développent à la réflexion collective sur la décroissance ou l’après-croissance, le  travail de Tim Jackson est évidemment des plus intéressantes, mais elle n’aura sans doute pas le caractère de radicale nouveauté que certains auraient aimé y trouver. En définitive, il est difficile de déterminer si Prospérité sans croissance est la réinvention de théories radicales plus anciennes mais en des termes plus policés, ou bien la recherche d’une « troisième voie entre le concept de croissance verte et celui de décroissance », comme le suggère la quatrième de couverture. Dans le premier cas, il s’agit d’une passerelle intéressante entre milieux académiques et radicaux. Dans le second, on peut se demander si la recherche d’une autre prospérité, d’une énième troisième voie, ne risque pas de s’enliser dans des querelles sémantiques désincarnées